jeudi 6 mars 2014

JEAN-PIERRE HENNINGER,FORGERON.

Le petit village perché de Brantes dans la vallée du Toulourenc (Vaucluse). C’était en début d’après-midi, juste un peu avant le réveillon du premier de l’an. Le rendez-vous est pris pour le 2 janvier. « À jeudi donc, comme ça, on se fera la bise pour la nouvelle année. Je mets un mot sur la porte du frigidaire ». La voix est enjouée, le ton humoristique. L’accent n’est pas « chantant » comme celui de la région. Malgré tout, je sens tout de suite à travers le combiné téléphonique, quelqu’un de chaleureux et d’ouvert. J’avais entraperçu le gaillard à la carrure de lutteur quelques jours auparavant. Et ce matin, sous un ciel humide je suis là, devant une superbe porte en chêne ornée de ferrures noires. Jean-Pierre Henninger, forgeron à Brantes (Vaucluse), m’attend tout en préparant le poèle à bois.
Un coup de chalumeau pour allumer le poêle et la forge. Le feu est bien vite allumé avec le poste à soudure. Tout en me racontant un peu son parcours et son arrivée il y a quarante ans au village, l’homme s’affaire autour de la forge muette et encore froide. Quelques pelletées de lignite rassemblées autour d’un foyer creusé dans la brique réfractaire et bientôt, la forge s’anime, le feu se met à danser droit dans l’air. Pendant une heure, nous nous retrouvons dans le même temps, celui d’avant, celui de notre jeunesse. Études d’arts appliqués pour l’un, les arts déco pour l’autre, une passion partagée pour la bande dessinée, les cheveux longs et « peace and love ». Je m’attarde un peu du regard sur les murs de la forge. Ici, ils sont chargés d’outils portant les signes d’une longue vie, là, impeccablement rangées, des boîtes doivent contenir des « préciosités ». Des barres d’acier posées debout contre un mur semblent attendre les halebardiers. Il y a beaucoup d’ordre dans tout cet étalage d’acier. Normal pour un « alsacien » me lance Jean-Pierre Henninger avec un sourire de connivence.
Un atelier au rangement très « alsacien » paraît-il. Le forgeron prépare son travail pour la matinée. Il mesure, marque le fer d’un coup de pointeau l’endroit précis où tout à l’heure il perforera à cœur la barre d’acier. La pièce à forger est plongée dans la flamme vivante. Noir, brun, rouge, le métal se pare des couleurs du feu, se fond dans une gamme chatoyante. Au rouge sombre, un coup de ciseau à froid entame le métal d’une entaille profonde pour marquer l’emplacement du futur trou forgé. À sa plus haute température, l’acier devenu blanc perd toute sa rigidité. À la limite de la fusion, l’acier maléable s’ouvre, se tord telle la guimauve. De quelques coups de massette bien ajustés le ciseau transperce la barre. Les bélugues fusent alentour sur le tas de la forge. Le métal torturé, gonflé par le feu est rectifié, réaligné par l’œil expert de l’artisan.
L’acier est marqué à l’aide d’un pointeau.
La marque ne disparaîtra pas une fois la barre mise au feu.
La barre d’acier est mise au feu pour être travaillée.
Quelques coups bien ajustés pour ouvrir la barre de métal.
Les bélugues fusent.
Le ciseau à froid a transpercé l’acier. Entre chaque ouvrage ou opération, nous discutons de tout et de rien. De ce métier de forgeron que personne sans doute ne reprendra. Une perte pour le village. C’est un savoir ancestral qui disparaît chaque jour un peu partout dans notre société trop industrialisée. La forge avec son feu est aussi un peu un cœur qui bat. Le martellement de l’acier résonne dans les ruelles en contrebas du village. On se dit : « tiens, Jean-Pierre est à sa forge ! ». Le voisin passe avec ses courses encore sous le bras histoire de dire bonjour. Les deux amis échangent quelques nouvelles là, bien au chaud devant le feu, en ce mois de janvier. La neige n’est pas loin. Juste en face sur le versant nord du Ventoux, à quelques jets de pierres. Un photographe est monté ce matin par les pentes ravinées en espérant saisir quelques mouflons à travers son téléobjectif.
En quelques coups, le pilon écrase la barre d’acier. Une nouvelle pièce d’acier est mise au feu. Jean-Pierre ramène un peu le lignite au plus près de la barre à ouvrager. Quand l’acier a atteint sa couleur, il saisit la barre brûlante aidé de son gant au pouce maintes fois consolidé. Le métal docile, s’écrase au rythme cadencé et monotone du pilon. « Pong ! Pong ! Pong ! ». En quelques coups, la barre carrée se transforme en une sorte d’épée à la lame grossière. Plusieurs tonnes pèsent sur l’acier aminci, affiné peu à peu, forgé pour réaliser le départ d’une volute sur le faux rouleau.
La réalisation d’une volute.
La pièce est remise au feu de nombreuses fois. J’admire la beauté des innombrables outils dont l’acier poli, renvoie l’éclat de la lumière du jour. Jean-Pierre me montre des pinces de forge : « — Celles-là, je les ai forgées moi-même. De toute façon, les formes, les outils, il faut se les fabriquer dans la plupart des cas. Voilà, ça c’est un marteau avec un manche en cornouiller que j’ai fabriqué en 1960…et je l’ai toujours. Même le manche est d’origine. » Je suis admiratif. L’étau de forge est superbe. L’outil est non seulement fonctionnel, mais aussi ouvragé. Son embase dessine un cœur que transpercent trois boulons d’acier. L’ensemble est solidement ancré dans le sol en béton. Rejetés dans l’encadrement d’une fenêtre, quelques mécanismes d’horlogerie poussiéreux, ont servi de modèle à la réalisation d’une rotissoire. Le temps semble s’être arrêté et pourtant il défile bel et bien. L’artisan a coupé la soufflerie de sa forge et déposé son ouvrage encore rouge sur le sol. Il est l’heure du déjeûner. L’acier refroidira tranquillement pendant ce temps. Pour l’instant, un petit « kir » nous fera le plus grand bien et je sais déjà de nous deux qui le mérite le plus. Merci à Jean-Pierre Henninger pour son accueil, ses explications, sa patience face à un insatiable curieux. Que vive longtemps pour notre plus grand bonheur, l’harmonie intelligente de la main et de l’esprit.
Le superbe étau de forge.
Certains outils ont été forgés par Jean-Pierre Henninger.
De vieux mécanismes d’horlogerie sont figés par le temps.
Il faut laisser l’ouvrage refroidir.
Jean-Pierre Henninger, un sacré « bonhomme » au parcours étonnant. Jean-Pierre Henninger Forgeron 84390 Brantes Tel. : 04.75.28.07.40 TEXTES ET PHOTOS : Serge SAN JUAN.

1 commentaire:

  1. Un beau souvenir de notre conversation pleine d'humour dans votre forge!! les savoyards

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