mercredi 23 avril 2014

Site nucléaire d'Albion : "J'y ai travaillé. À 42 ans je suis aussi fragile qu'un vieillard".

Par Leny Paris Ancien commando sur le plateau d'Albion. Entre 1971 et 1996, le plateau d'Albion (Vaucluse) accueillait 18 zones de lancement de missiles nucléaires. Des militaires et d'autres professions civiles ont ainsi été au contact de ces armes pendant des années. Une enquête du "Parisien" révèle que des dizaines de vétérans souffrent aujourd'hui de cancer. Témoignage de Leny Paris, ancien commando devenu handicapé.
Sur le plateau d'Albion, les militaires étaient souvent au plus près des ogives de missiles nucléaires (ECPA/SIPA). Je me souviendrai toute ma vie de mon arrivée sur le plateau d’Albion, zone de lancement secrète de missiles nucléaires. 50 cm de neige, un vent glacial, des températures négatives : le plein hiver. On nous a dit de déballer tout notre matériel au sol et de faire 50 pompes. Une fois relevés, voilà mot pour mot ce qu’on nous a dit : "Le premier enculé qui n’est pas content, qu’il sorte du rang !" Le message était clair : ici, il ne fallait surtout pas l’ouvrir ni chercher à comprendre. Ma mission était de surveiller les missiles nucléaires Je me suis retrouvé sur le site d’Albion en tant que sous-officier. J’y avais été muté alors que je n’avais pas 20 ans, après avoir fait mes classes à Nîmes et avoir été reçu avec mention. En tant que commando de l’armée (les fameux bérets noirs), j’étais en charge de la sécurité, comme les 90 commandos présents sur place. Une mission de surveillance et de garde des missiles nucléaires. Nos gardes duraient 24 heures et nous alternions entre différentes équipes. L’une était en alerte permanente et devait être très réactive en cas de signal. Une autre était affectée sur les deux postes de conduite de tir du site, situés à 400 mètres de profondeur. Il y avait aussi une équipe d’intervention, à bord de véhicules blindés, qui s’occupait de 9 zones de lancement. Sur tous ces postes, nous étions toujours assez proches des missiles, parfois de 5 ou 6 mètres. Les électriciens, eux, pouvaient être directement en contact avec le matériel pendant 24 heures. La protection était dérisoire, voire inexistante Il n’y avait aucune protection, peu importe l’équipe où l’on était affecté. Chez les commandos, je n’ai jamais entendu parler de dosimètres, ou quoi que ce soit d’autres. Une fois par mois, nous étions en convoi. C’était le moment où on ouvrait la zone qui contenait le missile, pour le désarmer et le recharger. Pour cette mission, la tenue NBC (Nucléaire, Bactériologique et Chimique) était par contre obligatoire. Mais dans quel état… Ces combinaisons étaient souvent déchirées. Et le pire, c’est que lorsqu’on revenait à l’armurerie, la tenue était refilée au suivant sans aucune décontamination ! J’ai eu l’occasion de parler avec un pompier qui a travaillé sur le site et qui m’a dit que c’était pareil pour les rangers. Je suis lourdement handicapé depuis mes 28 ans J’ai découvert mon handicap à l’âge de 28 ans, à l’occasion d’une fracture de la cheville droite. Je suis plus fragile que quelqu’un de 90 ans car mon tissu osseux est complètement détérioré. Aujourd’hui, j’ai 42 ans et je suis comme un vieillard. J’ai perdu 4 cm de taille et 10 kg de masse osseuse à cause de ma nécrose osseuse. J’ai aussi une fibromyalgie, une maladie musculaire qui m’handicape complètement. Lorsque j’ai eu cette fracture en 2003, mon médecin traitant a été catégorique : l’irradiation nucléaire en était la cause. C’était le début d’un long combat médical qui n’est donc toujours pas terminé. J’ai vu 17 rhumatologues, les plus renommés au niveau mondial ! Les résultats sont là : l’IRM prouve que j’ai une nécrose, reconnue comme maladie ionisante par la Sécurité sociale. Dans un rapport de 2012, il est écrit noir sur blanc que j’ai reçu des charges de plutonium. Des "niveaux en plutonium supérieurs aux valeurs habituelles" ont été relevés dans les sols d’Albion. Mais l’armée ne veut pas admettre son implication dans mon état actuel. Et je ne peux pas vraiment dire que j’ai obtenu beaucoup de soutien… L’ex-maire de Pau et députée PS Martine Lignières-Cassou ou encore François Bayrou ont voulu m’aider. Mais le dossier a vite été écarté, allez savoir pourquoi… Mon combat avance mais n'est toujours pas terminé Lorsque Noël Mamère est devenu avocat en 2008, je l’ai contacté pour lui demander de s’occuper de mon cas. Il m’a répondu que le dossier était un problème d’État, qu’il n’y pouvait rien personnellement et il s’est empressé de me refiler l’adresse de son associé… qui m’a fait un devis dont le montant pouvait atteindre 12.000 euros ! Je lui ai répondu que les mariés de Bègles étaient aussi un problème d’envergure et que ça ne l’avait pas fait reculer… Après plus de dix ans de lutte, j’ai enfin obtenu mon dossier dosimétrique journalier, soit le compte-rendu précis de mon exposition aux radiations. C’est déjà une avancée et le médiateur de la République a désormais tous les éléments en main. L’enquête fouillée du "Parisien" ou le procès de l’île Longue (Finistère), où des militaires ont travaillé près des têtes nucléaires des sous-marins, vont peut-être aider à accélérer le dénouement de ce dossier. En tout cas, je l’espère. Il y a moins d’une heure, j’ai encore reçu le mail d’un gendarme qui a travaillé sur le site et qui en subit les conséquences. S’occuper de ce dossier et de ses victimes, à commencer par moi, est la seule chose que je peux faire aujourd’hui. - Propos recueillis par Yoann Labroux-Satabin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire